Des visages mesquins semblent cachés dans les nuages, cassés comme des images polaroïds trop longtemps restées dans le grenier. Ils nous regardent depuis là-haut, derrière leur papier noirci. Leurs lunettes sont sales, des carreaux, des fenêtres poussiéreuses leur servent de miroir à blasphèmes. Mais cela t'importe-t-il encore ? Je me rappelle cet après-midi où le monde a continué à tourner alors que je lui ordonnais de se taire. Mais depuis quand la terre écoute-t-elle ? Rappelle-toi enfin, car bien qu'elle n'écoute pas, elle parle beaucoup, et son vent léger devient vite tonitruant, aussi assourdissant qu'un ventre et sa complainte à la faim. Il y avait cette jeune fille et ce jeune homme, sur un jeune banc en face d'un jeune lac. A jeun mais ivres tous deux, ivres tout d'eux. Il lui lisait les grands poèmes qu'il avait annoté sur son papelard délavé et elle écoutait lascivement. : « Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur. Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète.. ». Elle poussa un soupir lent, lâchant des lucioles glacées de ses lèvres. « ...Que ta voix ici-bas doive rester muette. » Et d'un sursaut soudain, rappelle-toi ses cheveux qui se sont soulevés comme une vague quand elle a quitté le banc et de son index gracile qu'elle posa sur tes lèvres (tu te rappelles la texture de sa peau, n'est-ce pas?).. ! Elle abaissa les paupières du jeune homme, elle lui implora de se taire. Et dans leurs têtes en échos résonnaient la suite de ce poème : des vers comme des bougies dans une lampe brisée.
« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots. »
Cette ligne d'électrocardiographe vibrait longuement sous les paupières fermées des amants d'autrefois. Les sons reposés, quand le bois du banc ne grinçait plus, quand le vent ne venait plus froisser les cheveux nerveux, quand le clapotis des effets du lac ne tintait plus ; quand la vie sembla s'arrêter, quatre lèvres se rencontrèrent fébrilement. « Alfred de Musset, non ? » puis elle s'enfuit tout à coup, courant à travers les saules pleureurs, se cachant derrière leurs longs et vieux cheveux.
Tu sais, quand je suis partie, je ne pensais pas que tu me suivrais. Tu étais si éloigné de la réalité que je ne pensais même pas que tu ouvrirais les yeux si vite. Mais my dear friend, je m'étais vraisemblablement trompé, car ton ombre a fusé pour rejoindre ce corps et cette robe blanche. En Pocahontas des temps modernes, elle a fauché les âmes des branches pour les emporter dans ses poches, les garder près d'elle. Elle anime la nature d'un clin d'oeil amical. Et le jeune garçon l'a suivie, fusillant d'épines disgracieuses son pantalon en lin. Ce gris Cédric qui valsait entre les feuilles, je le revois encore. Nous entamions soudain un jeu de chats où chacun était souris. Aux matins des aubes, tu mêles ancholies ; c'est un délicieux jardin cuivré qui gît sous les racines du saule qui nous servaient d'oreiller. Te rappelles-tu les corolles de ma robe qui faisait l'anguille dans l'eau du vent ? Tu caressais son bord comme un fruit délicat qu'on ne veut briser car le jus nous électrocuterait. Tes regards si doux, tes ombres si blêmes, tes gestes si lents.
Cédric jetait mes.. veines aux vents. Tous mes souffles, tu les emportais dans ta boîte de Pandore. Je collais mon oreille contre l'ébène coupé et, à travers la sourire, je pouvais entendre des rires virevolter, emportés par des brises mouillées.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire