Lost Highway



Devant moi régnait une cathédrale gothique : ses deux grandes tours d'un gris albâtre me rappelait aux nuages d'un orage de fin du monde. Des ferronneries noires et blanches semblaient sortir des pierres comme des flèches qu'une armée aurait lancées contre l'opium divin. Pointues et longues, j'y voyais déjà les corps empalés un à un, sordides, des épouvantails en rubis. En levant la tête, j'apercevais à peine le toit du ciel, qui se confondait si bien avec l'édifice que les deux semblaient ne faire qu'un. Malgré des éclaircis et des nuages clairs, malgré l'été et le soleil bienveillant, je sentais comme une main de fer qui compressait mon coeur lorsque je franchis la porte d'ébène de la cathédrale.
A l'intérieur, des emprunts d'encens, et d'autodafés. Un prêtre m'accueillit, et sa robe se noircissait devant mes yeux ; comme une cigarette qui brûle, elle devient brune, et ses bords incandescents et rougis par les flammes mortes contrastaient avec les yeux cendrés de l'homme. D'un sourire macabre - un air d'homme mystère Lynchien - il m'accueillait et me guidait dans son antre. Les vitraux étaient de couleur très vives, mais si opaques que la lumière semblait bloquée par un mur de béton ; ils représentaient souvent des animaux féroces, virils. Face à eux, des cygnes et des souris qui tremblaient, une dernière lueur solaire dans le regard. Mais toujours un nuage passait et tuait toute intensité sur les vitraux quand mon regard se posait sur eux. Les murs qui les entouraient étaient froids, si froids qu'on ressentait les vibrations glacées du marbre sans même les toucher : mes poils se hérissaient et mes membres suffoquaient et l'air devenait irrespirable, comme au sommet du plus haut mont. Les bancs de prières, quant à eux, n'étaient que des racines d'arbres déjà morts, fatigués, et nul n'osait s'asseoir de peur que les lianes s'animent et ne viennent à happer les jambes des pieux. Mes yeux sensibles, larmoyants par la fraîcheur, souhaitaient rentrer dans leurs orbites pour oublier cette ambiance morbide et ressortir sur le parvis de la cathédrale, dehors, visiter les passants et les sourires dans leurs pommes. Mais le prêtre continuait à me guider, attrapant et serrant mon avant-bras de ses doigts gras et moites. Il m'amena dans une pièce aux allures de catacombes, et mon coeur oublia de battre, et mon esprit perdit ses sens et mes sens n'existaient plus ; que le froid, que l'horreur, que le vomi dans ma gorge. 
Dans cette petite pièce, apposée sur un mur pointu qui fait honneur aux voûtes creuses et hautes de Babel, une toile de la crucifixion de Jésus trônait ; contrairement aux habituels représentations de la scène, Jésus ornait le sourire de Mona Lisa et fixait de ses yeux entièrement noirs et vides dans la direction de la porte que je venais de franchir. Droit dans mes yeux. Droit dans mon coeur. Des millions d'invisibles arachnides sortaient de son regard et me parcouraient, me démembraient de l'intérieur, montaient sur mes jambes soudain nues et crevaient mes yeux, violaient ma bouche, s'insurgeaient dans tous mes orifices, en créant de nouveaux sur mon dos et mes cuisses. Et mes poumons noircis me firent tomber par terre.
Je ne me rappelle plus quand je me suis réveillée pour la dernière fois ; cela fait des années, des siècles ou des secondes. Comme Tantale, je subis le même spectacle depuis que mes yeux se sont rouverts, et je les arracherai de mes mains si je le pouvais. D'un maléfice ou d'un supplice, je ne distingue plus rien. Devant moi, continuellement le même spectacle. Une femme blonde et nue, virginale dans sa grâce, se retrouve les épaules ensanglantée par les sabots d'un cheval qui appuie son poids sur elle. Je vois ses larmes, j'entends ses pleurs, je gémis de subir ses supplications. Le cheval la salit dans tous les sens possibles. Et elle pleure, inneffable. Et je voudrais crier, délier ses chaînes, relever son visage et l'emmener avec moi. Mais mon corps ne me répond plus. Un homme, à ma gauche, la regarde plein de désir et d'envie. Il tient dans sa main gauche un long fouet en cuir. Chaque seconde porte le sceau d'une flagellation obscène.

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